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Associer laïcité et lutte contre l’islamisme est une erreur car malgré des points de convergence, ils restent des sujets différents. Les associer engage donc sur un biais qui à mon avis nuit à l’intelligibilité des situations.

Laïcité : Parole aux adhérents

1/ Quel bilan faites-vous du premier quinquennat d’Emmanuel Macron en matière de laïcité et de lutte contre l’islamisme ? 

Associer laïcité et lutte contre l’islamisme est une erreur car malgré des points de convergence, ils restent des sujets différents. Les associer engage donc sur un biais qui à mon avis nuit à l’intelligibilité des situations. 

La laïcité est un principe qui est mis en application avec cadre juridique global régissant la vie en société d’un point de vue de la pratique des cultes, quels qu’il soient. À ce titre, après des allers-retours et des signaux parfois contradictoires (reflétant aussi les dissensions au sein de LREM), en mars 2019, Emmanuel Macron avait fini par clarifier son propos sur son choix de pratiquer une « laïcité ouverte », durant son débat avec les intellectuels.

En cela il s’était inscrit dans la ligne déjà tracée de Nicolas Sarkozy. Emmanuel Macron avait déclaré alors que « on ne demande à aucun protestant ou catholique d’être modéré ! On se fiche de savoir ce qu’il est, on lui donne la possibilité de l’être comme il veut, mais de respecter toutes les règles de la République, c’est ça la République, c’est ça la laïcité », et il ajoutait que « la question n’est pas de savoir si c’est bien ou pas bien si une jeune fille met le voile dans la rue (…) mais de savoir si elle est libre de la faire ou pas », ce qui, à mon avis, était enfoncer une porte ouverte. 

En outre, de quoi parle-t-on également lorsqu’on parle d’islamisme ? Existe-t-il un ou des islamismes ? Sur ce point déjà les choses ne sont pas simples et peuvent faire débat. Bruno Etienne l’avait défini comme étant « l’utilisation politique de thèmes musulmans mobilisés en réaction à la « westernization » considérée comme agressive à l’égard de l’identité arabo-musulmane, réaction perçue comme une protestation antimoderne ». Cette définition me semble assez pertinente car elle prend en compte un aspect essentiel de cette idéologie : son profond rejet de l’Occident, ce qui, nous allons y revenir, nous parait important pour appréhender son évolution et sa gestion en France

Ce faisant, pour répondre à votre question, le bilan du quinquennat me semble très mitigé et, surtout, il me donne l’impression que, comme bien souvent en matière de politique, on s’occupe surtout de l’arbre qui cache la forêt. Cela montre que non seulement rien n’est réglé, et on a même l’impression que les choses s’aggravent.

En effet, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite « loi séparatisme », elle a donné un cadre plus précis, pénalement applicable et entraînant des décisions telles que « fermetures de structures identifiées comme séparatistes, des redressements fiscaux et des saisies ». D’autres articles comportent aussi des points moins connus tels que : des mesures pénalisant « des examens en vue d’attester la virginité » et renforçant « la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne », assurant un meilleur encadrement de l’instruction à la maison « à condition d’y avoir été autorisées par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, lui donner l’instruction en famille », tout comme celui des clubs de sport, avec le « contrat d’engagement républicain », etc

Mais l’inconvénient de ce type de mesures est qu’en dehors du fait qu’elles ont tendance à éluder le problème de fond, elles peuvent aussi avoir des effets contre-productifs en nourrissant un ressentiment facile à instrumentaliser. Si bien, à titre d’exemple, que Médiapart la qualifia de « chasse aux sorcières », et elle est encore dénoncée par certains comme étant « une loi islamophobe, raciste, liberticide et discriminatoire ». À ce titre, force est de constater que le discours intimidant, usant et abusant de la rhétorique diabolisatrice a de beaux jours devant lui

En outre, les déclarations plus récentes et les postures parfois ambiguës du Président de la République, habitué à envoyer des signaux contradictoires, ne règle en rien la question. Ainsi, lorsqu’il dit, lors du débat de l’entre-deux tours, comme argument pour s’opposer à la volonté de Marine Le Pen d’interdire le port du voile, que cela provoquerait une guerre civile, ou bien lorsqu’il répond à une femme voilée « Avoir une jeune fille qui porte le voile à Strasbourg qui demande : « Est-ce que vous êtes féministe ?  » C’est la meilleure réponse à toutes les bêtises que je peux entendre. », on a plutôt l’impression qu’il souffle sur les braises. Si à cela on ajoute la politique de l’UE, que l’on peut qualifier de complaisante avec le salafisme, en particulier avec le frérisme, cela n’aide pas à clarifier les choses. 

Quoiqu’il en soit, à l’heure actuelle, il résulte un clivage qui se creuse, jalonné de reductio et de ad hominem, de récupérations politiques en tous genres qui, on peut le regretter, bloquent tout débat possible.

_  « L’État se doit de rappeler les obligations qui s’imposent aux administrations, de supprimer les pratiques publiques discriminantes, et d’adopter des règles fortes et claires dans le cadre d’une loi sur la laïcité. »

2/ La multiplication des affaires qui remettent en cause la laïcité cachent-elles une inaction patente sur le terrain ? 

Il est indéniable que depuis 1989 et l’affaire de Creil, la question de la remise en cause de la laïcité, et son « étendard » le plus visible et médiatisé (mais pas le seul) qu’est le voile, – et depuis quelque temps le burkini- est un serpent de mer. 

Si, en 1989, on a l’impression que le sujet a été en partie éludé par Lionel Jospin qui n’a pas pris la mesure de l’évènement, en laissant les enseignants et les chefs d’établissement régler « au cas par cas » les situations, force est de constater qu’en 2003-2004, il y a eu une volonté plus affirmée de s’emparer de la question. La commission Stasi, composée de 20 membres d’horizons variés (universitaires, chercheurs, juristes, politiques, enseignants et chefs d’établissements) et auditionnant 140 personnes elles-aussi de tous horizons et représentant à la fois la société civile, les partis politiques et les instances religieuses du pays, a ainsi rendu un rapport qui avait pour objectif que « l’État se doit de rappeler les obligations qui s’imposent aux administrations, de supprimer les pratiques publiques discriminantes, et d’adopter des règles fortes et claires dans le cadre d’une loi sur la laïcité ». La volonté y était, mais le bilan était finalement assez décevant car, là encore, on ne s’attaquait pas aux causes du problème. 

Aujourd’hui les affaires récentes montrent que rien n’est réglé, au contraire, et beaucoup considèrent que le voile n’est pas un problème (surtout chez les jeunes) et j’ai tendance à penser que, si après plus de 30 ans non seulement le sujet est encore d’actualité mais il s’étend et ne concerne pas seulement le voile, ni l’Islam, c’est qu’il est peut-être temps de changer de stratégie, ou en tous cas d’essayer de penser autrement.

_  « Certains sujets devraient pouvoir être posés sur la table sans polémique, froidement, sans être taxé de je ne sais quel nom d’oiseau. Il faut que le débat puisse avoir lieu, pour le bien de tous. »

3/ Quels seraient selon vous les leviers à actionner en priorité pour lutter contre la diffusion de l’idéologie islamiste et le communautarisme dans les quartiers islamisés ? 

L’islamisme est une idéologie qui « n’est pas seulement sécessionniste, mais elle est également impérialiste et hégémonique. Car l’islam théocratique a pour ambition de gouverner le monde et de faire flotter la bannière de l’islam sur celui-ci », et elle a, en France, à la fois des causes exogènes et endogènes plurielles, ce qui rend le problème particulièrement difficile à résoudre. D’ailleurs, les spécialistes eux-mêmes sont parfois en désaccord sur le sujet. Ainsi en témoigne le débat entre Gilles Kepel et Olivier Roy. Pour faire simple, Kepel considère que l’islamisme porte un véritable projet politique prosélyte et quasi eschatologique, à savoir la mise en œuvre du califat (mondial ou pas selon les courants), O. Roy, de son côté, estime que celui-ci, et son effet qu’est le communautarisme, a des causes sociales exogènes à sa doctrine. 

Je pense qu’il faut sortir de la France et du temps présent pour prendre de la hauteur. Il est indéniable que d’une manière globale, l’Islam, connait depuis quelques décennies, comme c’est déjà arrivé au cours de l’histoire, une période d’affirmation voire d’expansion, ce qui a un impact sur la situation en France. Il suffit de jeter un œil aux réseaux sociaux où les chaines des imams se développent. A l’exemple d’Abdelmonaim Boussenna avec plus de 840 000 abonnés, ou encore Nader Abou Anas avec plus de 620 000 abonnés rien que sur Youtube – et qui a déclaré récemment : « Je veux que toutes mes sœurs en Allah qui ont enlevé le voile, j’aimerai que vous gardiez en tête que cela reste un péché ».

Il est indéniable aussi que cette tendance, il faut la considérer à l’intérieur de mouvements infra-musulmans antagonistes, à savoir qu’il existe avant tout des Islams, parfois très divisés non seulement entre les islamistes eux même (entre wahhabites et salafistes par exemple), mais aussi entre les musulmans. Ainsi entre sunnites et chiites, entre les écoles juridiques, entre Arabes, Berbères, Turcs, Persans, et Kurdes, etc. Il existe autant, si ce n’est davantage de divisions culturelles, dogmatiques et cultuelles, au sein de l’Islam que dans le Christianisme ou n’importe quelle autre religion pluriséculaire. 

Et ce qu’il faut comprendre est que ces mouvances peuvent aussi être en compétition entre elles pour assurer leur hégémonie (comme cela a souvent été le cas au cours de l’histoire, là encore). Ces points sont essentiels pour comprendre que le terme de « replis communautaire » est incomplet puisqu’il n’y a pas un mais des « replis communautaires ». À cela on ajoute les questions géopolitiques telles que le conflit israélo-palestinien, qui sont aussi importées.

Une fois que l’on a compris cela, on peut envisager autrement la situation. Tout d’abord, il me semble essentiel de veiller à l’ingérence étrangère. Permettre aux musulmans de France de pratiquer leur culte sans dépendre d’une quelconque obédience étrangère qui effectuerait du prosélytisme par ce biais. Il faut, comme c’est le cas partout ailleurs, avoir un Islam de France. On retorque souvent le fait que l’absence de clergé soit un frein puisqu’il n’y a pas un interlocuteur clairement défini (et surtout reconnu) par l’ensemble des musulmans de France, mais cela me parait être un faux problème car c’est aussi le cas dans d’autres religions (juive) ou confessions (protestants). 

Ensuite, certains sujets devraient pouvoir être posés sur la table sans polémique, froidement, sans être taxé de je ne sais quel nom d’oiseau. Il faut que le débat puisse avoir lieu, pour le bien de tous. Ainsi, on ne peut pas balayer d’un revers de la main la question de l’augmentation de l’immigration, ni celle du rôle de l’UE qui visiblement a une conception de la laïcité éloignée de celle de la France et qui connait de plein fouet l’entrisme des Frères musulmans jusqu’en son sein.

Mais surtout, comme je le disais au début, il ne faut pas non plus s’en tenir à l’arbre qui cache la forêt. Et là il faut aller au fond, et se regarder soi-même, aller sur le terrain existentiel. Quel projet avons-nous à proposer pour une jeunesse en quête de sens ? Car c’est bien auprès des jeunes que le combat doit être mené. Le projet néo-libéral qui dilue les individus dans un marché de consommateurs ? Un projet qui dilue les nations ? Ce projet-là, nombreux sont ceux qui ne s’y retrouvent pas.

La France et l’Occident, sont vus comme décadents, où la consommation est outrancière et où parfois la laïcité est vue comme une religion. Cette rhétorique d’une absence de sens des sociétés occidentales fait le miel des islamistes. C’est donc cela qu’il faut revoir, il faut combler ce vide dans lequel s’immiscent les salafistes. Il faut proposer un vrai projet de société.

Concrètement, il faut réaffirmer, sans peur, le rôle et le sens de l’école, qui doit rester un sanctuaire et protéger les élèves de toute forme d’ingérence et d’idéologie (quelle qu’elle soit). On peut aussi repenser certains programmes scolaires. Notamment, par exemple, en développant, justement, davantage l’enseignement du fait religieux – comme l’avait déjà défendu Régis Debray en 2002 – ou plutôt des faits religieux, Islam et ses mouvances compris. Il est important aussi de replacer l’histoire de la laïcité, de la séparation du spirituel et du temporel, dans le temps long de sa construction et dans les différents espaces géographiques. Car, en France, par exemple, la séparation entre le politique et le religieux ne date pas de 1905, et on peut, au moins, la faire débuter en 1589, lorsque Henri III reconnait Henri de Bourbon, protestant, comme son successeur légitime. 

En outre, c’est un changement de posture qu’il faut accomplir. Et il ne faut pas se laisser intimider par les anathèmes de plus en plus nombreux et virulents, il faut sortir de notre torpeur. Mais pour cela nous devons nous extraire du cercle délétère dans lequel nous nous sommes enfermés, ou laissés enfermer. Par exemple, la France comme ancienne puissance coloniale doit être étudiée en étant davantage replacée dans un contexte plus global d’expansion coloniale. Sur ce sujet, le tollé qu’avait (à juste titre de mon point de vue) provoqué la loi de 2005 sur « le rôle positif de la présence française en outre-mer » a fait beaucoup de dégât car il a disqualifié tout débat sur la contextualisation de la colonisation. Dans le même ordre d’idées, la loi dite Taubira, en 2001 (contre laquelle s’était insurgé le collectif des historiens, « Liberté pour l’histoire », contre les lois mémorielles) a eu aussi des effets délétères puisqu’elle n’a pas pris en compte la traite arabo-musulmane, la traite barbaresque, et la traite infra-africaine. 

De fait, la hantise de certains historiens rédacteurs des programmes vis-à-vis du « roman national » pose un problème : à force de vouloir l’éviter, on finit par en écrire un autre, mais qui créé finalement une crise existentielle et une perte de sens qui fragilise notre cohésion nationale. Personnellement je pense que nous ne pouvons pas échapper au roman national et je pense aussi qu’il est hypocrite de prétendre le contraire. Dès lors que l’on fait des choix afin de rédiger des programmes scolaires, on crée un récit et une narration, c’est inévitable. La vraie question est donc : quel récit veut-on transmettre ?

_  « Les prises de positions de JLM, notamment son soutien indéfectible à Taha Bouhafs […] participent de la fragilisation de la cohésion nationale, il crée de la division en ayant remplacé la lutte des classes par une lutte des races, mais qui est un puit sans fond, et qui, de plus, est un leurre qui évite d’aborder les problèmes de fond. »

4/ Jean-Luc Mélenchon a-t-il trahi les principes de la gauche républicaine et laïque avec l’entrisme politico-religieux qu’il pratique avec les organisations islamistes ou militantes indigénistes ?

Le cas de LFI, je dois l’avouer, me laisse perplexe : concilier un dessein progressiste, à savoir l’affranchissement des lois naturelles, avec un Islam conservateur défenseur du port du voile, me parait être un grand écart. Celui-ci est d’ailleurs compliqué à gérer aussi pour une partie des électeurs musulmans, plus conservateurs, qui ne soutiennent pas un grand nombre des combats de LFI, et avec lesquels ils sont en profond désaccord. 

Mais c’est sans compter la stratégie bien huilée des islamistes. À ce titre je conseille le texte, pour la Fondapol, de Lorenzo Vidino, Directeur du programme sur l’extrémisme à l’université George-Washington : « La montée en puissance de l’islamisme woke dans le monde occidental » qui montre bien l’histoire et les stratégies, depuis les années 2000, d’entrisme des islamistes qui se sont débarrassés « largement des topoï du langage islamiste et [adopté] des cadres de pensée et des causes progressistes ». Wokisme et islamisme ont énormément de passerelles et ont adopté une rhétorique identique s’appuyant sur la disqualification de toute opposition ou moindre critique, résumées en un seul mot s’il en est : islamophobie.

Mais ne nous y trompons pas, pour les indigénistes « Mélenchon est une prise de guerre » pour reprendre les propos d’Houria Bouteldja. Quant aux islamistes, le projet est clair et assumé, et l’histoire a montré que les alliances avec les islamistes finissaient toujours en défaveur « des prises de guerre ». 

Les prises de positions de JLM, notamment son soutien indéfectible à Taha Bouhafs, ou bien ce rappeur lors du meeting de Lyon qui déclame : « Je voterai Mélenchon pour que les Français se sentent Africains », sa conception de la « créolisation » de la France, etc, sont, d’une part à l’opposé des principes qu’il a défendus la majeure partie de sa vie, et d’autre part contraires aux valeurs de la République laïque, une et indivisible. Son discours participe de la fragilisation de la cohésion nationale, il crée de la division en ayant remplacé la lutte des classes par une lutte des races, mais qui est un puit sans fond, et qui, de plus, est un leurre qui évite d’aborder les problèmes de fond. Il n’en reste pas moins une pratique de clientélisme qui a un pouvoir de nuisance très important lorsqu’on sait que beaucoup de jeunes votent pour lui ou ses idées, ces mêmes jeunes qui ne voient absolument aucun problème avec le port du voile au nom du « mon corps mon choix ». 

Entretien avec une docteure en histoire contemporaine et professeure d’histoire-géographie en lycée, membre de Souverains Demain !

 

  1. Bruno Etienne, « L’islamisme comme idéologie et comme force politique », Cités, 2003/2 (n° 14), p. 45-55.
  2. Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, Légifrance.fr.
  3. Projet de loi, texte définitif, 23 juillet 2021, Assemblée nationale.fr.
  4. Mediapart, Lou Syrah, 28 octobre 2021.
  5. Radicalisation islamiste : faire face et lutter ensemble Tome I : Rapport du Sénat.
  6. L’analyse de Kepel est confirmée par Djemila Benhabib, puis Haoues Seniguer, directeur adjoint de l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman (EHESS – CNRS) : « L’islamisme est une politisation exacerbée ou une idéologisation de l’islam. Les acteurs individuels et collectifs qui s’inscrivent dans ce courant sont mus par un idéal : celui de fonder un ordre social basé sur le primat des catégories religieuses », Rapport du Sénat.

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