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Réforme de la carte judiciaire ou l’éloignement de la justice du justiciable

Notre contributrice, magistrate depuis 2021, a pu constater un éloignement croissant de l’exercice de la justice par rapport à ceux qu’elle est supposée servir.

Les exemples de cet éloignement de la justice du justiciable sont nombreux. Ceux qui viennent le plus simplement à l’esprit sont sans doute la construction de nouveaux palais de justice, à l’instar de celui abritant le tribunal judiciaire de Paris, où les bureaux des magistrats sont devenus inaccessibles aux justiciables voire même aux avocats. Plus encore, les juges ne tiennent plus de simples auditions dans leur bureau mais dans des salles dédiées situées au rez-de-chaussée du palais, renforçant une spécialisation de la justice qui rend opaque leur travail. Mais l’éloignement s’opère aussi par les choix de localisation des auditeurs de justice (autrement dit les futurs magistrats) qui privilégient les tribunaux des métropoles aux petites ou moyennes juridictions[1].

Toutefois, la meilleure illustration de cette distance instaurée entre la justice et le justiciable est la réforme de la carte judiciaire. Aussi jusqu’en 2009, 1200 juridictions environ existaient sur le territoire français réparties selon une carte judiciaire datant de 1958. L’espoir de réaliser des économies d’échelle associé à la volonté de renforcer l’efficacité de la justice ont fait naître une réflexion sur la réforme de la carte judiciaire, au détriment du justiciable.

Ainsi, après la remise de nombreux rapports sur cette question, une réforme d’ampleur initiée en 2007 a-t-elle conduit à regrouper les juridictions à l’échelle départementale et régionales. Par la suite, les décrets des 15 février et 29 mai 2008 ont modifié en conséquence les ressorts et les sièges des tribunaux d’instance, des tribunaux de grande instance, des tribunaux de commerce et des conseils de prud’hommes conduisant à la suppression de 400 juridictions et la création d’une dizaine d’entre elles. Ainsi, 21 tribunaux de grande instance ont été supprimés outre 178 tribunaux d’instance alors qu’ils sont l’incarnation par essence de la justice de proximité.

Si, selon le rapport annuel de la Cour des Comptes en 2015, la réforme de la carte judiciaire a permis d’atteindre les objectifs visés de rationalisation (gestion immobilière et répartition des ressources humaines) sans dégrader la qualité du service rendu[2], un rapport du Sénat en 2012 a pourtant mis en évidence que, cette réforme a eu des conséquences négatives pour les justiciables – notamment les plus fragiles – du fait de l’éloignement des juridictions et de l’accroissement des délais de traitement[3]. Il en ressort ainsi que, sur plus de 100 km, un territoire pourtant non dépeuplé est privé de toute juridiction. En Bretagne, par exemple, les tribunaux d’instance de Loudéac, Plontivy et Ploërmel ont été supprimés de sorte que la Bretagne intérieure a été privée de toute implantation judiciaire sur une bande de territoire de plus de 100 km nord-sud et de 150 km sud-ouest. De même, en Auvergne, pour toute une zone qui s’étend de Clermont-Ferrand au Puy-en-Velay, les suppressions des tribunaux d’instance d’Issoire, d’Ambert et de Brioude privent le sud du Puy-de-Dôme et le nord de la Haute-Loire de toute présence judiciaire.

A cet éloignement des juridictions s’ajoute une précarisation de la justice. Mon expérience au tribunal judiciaire de Beauvais en qualité de juge des contentieux de la protection m’a fait constater la volonté de privilégier le recrutement de vacataires plutôt que de greffiers. Le manque de magistrats tente d’être pallié par le recrutement d’assistants de justice ou de juriste-assistants en contrats précaires, les assistants de justice travaillant deux jours par semaine pour un salaire d’environ 500 euros, souvent pour financer leurs études, et les juriste-assistants exerçant dans le cadre de contrats à durée déterminée de trois ans et devant systématiquement négocier leur salaire[4].

Il ne reste qu’à espérer que le recrutement plus important de magistrats grâce à la loi d’orientation et de programmation pour la justice 2023-2027 permettra de nouveau de combler les attentes des justiciables en réduisant les délais de traitement, à défaut de pouvoir réduire les trajets vers les juridictions des justiciables vivant en campagne.

                                                                                                            Magistrate et adhérente de « Souverains Demain ! »


[1]Sur la liste de postes proposés aux auditeurs de justice de la promotion 2022, 90 postes sur 242 étaient proposés dans des juridictions de groupe 1 et 2 soit les plus importantes. En raison de l’organisation des jeux olympiques de Paris, sur la liste de postes proposés aux auditeurs de justice de la promotion 2021, 152 postes sur 333 étaient proposés dans des juridictions  de ces deux groupes.

[2]Rapport public annuel du 11 février 2015, Tome I – La réforme de la carte judiciaire : une réorganisation à poursuivre

[3]     Rapport d’information n° 662 (2011-2012), déposé le 11 juillet 2012

[4]En 2021, quatre magistrats et deux magistrats à titre temporaire composaient le pôle de la protection et de la proximité où j’exerce mes fonctions. En 2023 et en 2024, seuls deux magistrats le constituent. 

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