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Paul Melun

Donné à 31 % au premier tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron bénéficie pleinement de la posture de chef diplomatique qu’il a acquise depuis le début du conflit russo-ukrainien.

Derrière la communication, l’impasse de la stratégie occidentale face à la Russie

En effet, Emmanuel Macron est l’un des seuls dirigeants occidentaux à maintenir un contact téléphonique régulier avec Vladimir Poutine, et à jouer les intermédiaires avec son homologue ukrainien. De même, la présidence française de l’Union européenne lui donne l’occasion de rassembler, à Versailles, les chefs d’État et de gouvernement européens pour apparaître unis face à l’impérialisme russe.

Comme toujours avec le nouveau monde d’Emmanuel Macron, la communication donne une illusion de maîtrise et de solidité. Pourtant, sur la forme comme sur le fond, les conséquences pourraient être désastreuses pour notre sécurité à moyen terme.

Sur la forme d’abord, le langage belliqueux de deux ministres est grave. Ainsi, Jean-Yves Le Drian agite avec imprudence la menace nucléaire rendant, œil pour œil et dent pour dent, la pareille aux propos de Vladimir Poutine, qui venait de rappeler que la Russie est l’une des « plus grandes puissances nucléaires au monde ». Si Jean-Yves Le Drian avait voulu renforcer l’escalade des tensions entre la Russie et le bloc de l’Ouest, il ne s’y serait pas pris autrement. En effet, le simple usage du mot « nucléaire » – dans un environnement diplomatique où chaque mot compte doit être soigneusement pesé – a l’effet d’un catalyseur de violence inouï : peu après les propos de M. Le Drian, M. Poutine mettait en alerte les forces de dissuasion russe, en réaction aux « déclarations belliqueuses de l’Otan ».

De même, Bruno Le Maire avait parlé de « guerre économique et financière totale » face à la Russie : c’est là, d’une part, mépriser les millions de morts des deux guerres mondiales qui étaient, pour le coup, des guerres totales, et d’autre part, s’enfermer dans une stratégie vaine visant à faire plier Poutine sous le poids des sanctions. Le président Russe est un adversaire déterminé, et les sanctions n’y changeront rien.

Il vaut donc mieux prendre des sanctions mesurées et à un rythme gradué pour ouvrir une voie de négociation en vue du retrait des troupes russes, plutôt que de cramer en quelques jours l’ensemble de l’arsenal économique européen. Avec quatre paquets de sanctions en quelques semaines, c’est comme si, lors d’une bataille, l’artillerie vidait son stock d’obus dès les premières minutes.

Sur le fond, la stratégie de désescalade d’Emmanuel Macron – et plus largement des occidentaux – est vouée à l’échec : il ne sert à rien de sauter comme un cabri sur sa table en criant « désescalade, désescalade », sans proposer la moindre contrepartie à son interlocuteur pour aboutir à un compromis. Face à un dirigeant russe déterminé et sans scrupule, mais dont les revendications sont claires (démilitarisation de l’Ukraine, non-adhésion de celle-ci à l’OTAN), il aurait fallu, dès le départ, être limpide sur la non-expansion de l’OTAN à l’Est[1]. Vladimir Poutine n’aurait alors probablement pas engagé une guerre qui lui coûte aujourd’hui terriblement : la Russie est exclue du système financier international, il a perdu le cœur des Ukrainiens et donc toute perspective de rapprochement durable avec ce pays, il est de plus en plus contesté en interne.

Et qu’avons-nous gagné, occidentaux, à jouer les télégraphistes des Etats-Unis et de l’OTAN ? L’Ukraine est plongée dans un conflit meurtrier menaçant la sécurité en Europe, l’économie européenne va entrer dans une crise de longue durée en raison des dépendances énergétiques à la Russie, nous vivons sous la menace d’un conflit nucléaire qui n’a jamais été aussi forte que depuis la crise de Cuba en 1962.

Aujourd’hui des commentateurs se réjouissent de la fermeté des occidentaux face aux Russes, du renforcement de l’OTAN et de l’unité de l’UE. Mais ils oublient que la politique étrangère d’Emmanuel Macron et de l’UE, vassalisée par les Etats-Unis, est avant tout un désastre. En effet, la Russie est poussée dans les bras de la Chine, qui va probablement créer un réseau financier concurrent de SWIFT pour maintenir à flot les banques russes. En outre, le risque d’une invasion de Taïwan est plus fort que jamais. N’oublions pas qu’une invasion de Taïwan provoquerait une pénurie mondiale de semi-conducteurs, indispensables dans la production de tout appareil électronique (ordinateurs, portables, mais aussi voitures…).

Tout cela forme un cocktail de poudre qui n’attend qu’à être enflammé pour provoquer un troisième conflit mondial : conflits entre deux blocs dans deux régions du monde (Ukraine et Taiwan – si l’invasion de cette dernière se matérialise), exclusion du bloc russe (et bientôt chinois ?) du système économique mondial, lutte pour le contrôle des ressources économiques (notamment des semi-conducteur taïwanais), conflit de civilisation enfin, sur fond de désinformation massive et de cyberattaques susceptibles de neutraliser les services publics et le système bancaire.

La pandémie du COVID19 n’est potentiellement rien face à l’ampleur de la crise géopolitique qui s’annonce, et dont les occidentaux ne semblent pas avoir pris la pleine mesure.

Pour éviter cela, il aurait fallu mener de véritables négociations avec Vladimir Poutine, proposant des contreparties dans les deux sens (promesse de non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN contre promesse de non-invasion). Mais le problème, dans un débat public hystérisé, est que la moindre tentative de médiation et de négociation est perçue comme une ode au kremlin.

Alors, que faire face à l’agression russe ? Plutôt que de traiter Poutine tel un paria international (à l’instar d’Ursula Von Der Leyen, particulièrement véhémente, en parlant de « cruauté incroyable de Poutine »), il faut d’urgence convoquer un sommet mondial, sous l’égide de l’ONU, au cours duquel sera exigée le retrait immédiat des troupes russes de l’Ukraine en contrepartie, d’une part, de la levée des sanctions économiques et, d’autre part, de la signature d’une convention en vertu de laquelle l’OTAN ne s’étendra jamais plus vers l’Est.

Plutôt que de sanctionner à tout va, ce qui n’a pour effet de que braquer les Russes et de tuer dans l’oeuf toute perspective de désescalade, n’oublions pas ce précieux conseil d’Hubert Védrine : « Il faut envisager l’avenir. La Russie sera toujours notre voisin, c’est une remarque géographique, pas politique ». Poutine a fait une faute grave en envahissant l’Ukraine. Il a bafoué le droit international et est responsable de la mort de centaines de civils. Mais cela ne rend que d’autant plus urgentes des négociations, ce que les déclarations belliqueuses des dirigeants européens et le caractère extrême des sanctions rend impossible.

[1]    Des experts comme le directeur actuel de la CIA, William J. Burns, ou encore le diplomate George F. Kennan, qui a élaboré la doctrine d’endiguement de la guerre froide, avaient averti qu’une telle expansion serait perçue par la Russie comme une provocation et pourrait déclencher une guerre.

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