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Emmanuel Dautheville

C’est là qu’apparait l’essentiel : non dans ce qui est annoncé, mais dans ce qui est tu, omis délibérément. Jamais Matignon n’oserait promouvoir un rôle nouveau pour la BCE assorti d’objectifs sociaux et environnementaux. Jamais l’audace gouvernementale n’irait jusqu’à envisager une réforme des retraites non centrée uniquement sur le recul de l’âge minimal de départ, mais sur le taux d’emploi des séniors, et pourquoi pas, au moyen d’une part de contrainte sur les employeurs ?

Déclaration de politique générale : navigation dans le brouillard entre flou, contradictions et renoncements

Le 16 septembre 1969, Jacques Chaban-Delmas prononçait son mémorable discours sur la « Nouvelle société ». Inattendus, les mots du Bordelais suscitèrent l’attention de la gauche modérée, l’inquiétude de la droite conservatrice, et s’ils n’emportèrent pas l’adhésion unanime de l’Assemblée, au moins allaient-ils frapper durablement les esprits.
Aujourd’hui, les hôtes des Palais Bourbon, de l’Elysée et du Luxembourg peuvent s’en re-tourner à leur léthargie sereine, la révolution ne viendra pas du côté de Matignon.

C’est peu de le dire : la foi ardente dans la grandeur nationale n’habite pas l’esprit de notre Première ministre. Elle n’aura épargné à son auditoire turbulent ni les sempiternelles plati-tudes introductives sur le ton du « Ensemble nous agirons », ni la pensée magique de la technocrate persuadée que « France Travail » fera mieux que « Pôle Emploi » ou que le Mi-nistère de la Santé et de la Prévention réduira davantage l’incidence des cancers que n’y parvenait le Ministère de la Santé tout seul…

Au moins Elisabeth Borne a-t-elle pris acte du résultat des législatives : « les Français nous invitent à des pratiques nouvelles, à un dialogue soutenu et à la recherche active de com-promis ». Cette constatation l’invite tout naturellement à réunir une « Commission » dès la rentrée pour faire plaisir à tout le monde : élus locaux (afin que chacun puisse déroger à la règle générale), syndicats, corps intermédiaires etc…

Quelques mesures à saluer dans un océan de flou

Évidemment, la revalorisation de l’Allocation Adulte Handicapé améliorera le quotidien des personnes concernées, tout comme le triplement du plafond de la Prime Pouvoir d’achat et la hausse de la Prime d’activité. Le Service Public de la Petite enfance ambitionne la créa-tion de 200000 places de garde pour les enfants d’âge pré scolaire, au grand bonheur de leurs parents.

Mais l’énoncé d’une liste de mesures, certes attrayantes, mais beaucoup trop imprécises, a de quoi inquiéter. La taxe sur l’audiovisuelle publique serait supprimée, mais comment fi-nancer alors des programmes de qualité ? La réforme du RSA assurerait un meilleur équi-libre entre droits et devoirs du bénéficiaire, mais quelles contraintes pour celui-ci ? Comme tous ses prédécesseurs, l’oratrice réclame encore la revalorisation de la filière pro-fessionnelle et de l’apprentissage, mais comment ? Une loi de Programmation militaire se-ra bientôt débattue, quels seront ses objectifs concrets ?

Au sujet de la santé, l’abstraction administrative prend le pas sur le bon sens : pour soi-gner la population, les agences de l’État ou les collectivités territoriales organiseront, coordonneront, bref mettront sous tutelle les professionnels pour leur expliquer comment ils doivent travailler ! Voilà comment infantiliser tout un secteur. Au contraire, La médecine de ville tout comme l’hôpital ne réclame pas de plan, de schéma ou autres machins, elle appelle les vocations nouvelles de médecins, d’infirmières, et pour les faire naître, des ré-munérations attractives pour ces carrières lamentablement dévalorisées depuis des décen-nies.

Bien souvent les mesures proposées manquent leur cible voire aggraveront le mal auquel elles devaient remédier. Ainsi, la hausse des APL dans le contexte de tension locative n’aura d’autre effet que l’inflation des loyers, et le blocage de cette hausse dissuadera les propriétaires d’investir dans la rénovation des logements. Le prolongement du bouclier ta-rifaire énergétique obligera le contribuable à financer des sources polluantes plutôt que les énergies plus vertueuses. La nationalisation complète d’EDF n’a d’autre but que le ren-flouement de ses déficits abyssaux liés pour l’essentiel à l’idéologie concurrentielle impo-sée par l’UE à un monopole naturel. La raison voudrait qu’on traite cette cause plutôt que sa conséquence, mais les Euro-béats entendent rarement les évidences, et se refuseront à mettre en cause les dogmes bruxellois.

Contradictions et esquives

Le paradoxe européen dans l’esprit de la cheffe du Gouvernement n’est pas mince. Se ré-clamant de la radicalité écologique, de la planification, elle évoque les nombreux investis-sements nécessaires en la matière, pour finalement annoncer un montant quinquennal dé-risoire de 50 milliards d’euros pour y pourvoir, dans le cadre du programme France 2030.

À l’évidence les enjeux climatiques et environnementaux exigent des engagements finan-ciers d’une autre échelle, faisant appel à l’endettement des États. On n’a rien sans rien. Fai-sant fi de ces réalités, madame Borne préfère s’en retourner à son catéchisme maastrich-tien pour asséner aux Français l’orthodoxie budgétaire avec le rappel de la règle d’Or : moins de 3% de déficit public, et ce dès 2027 !
Non seulement le Gouvernement prétendra respecter ce muselage budgétaire à la lettre ( on attend de voir ! ) , mais surtout s’interdira toute pensée hétérodoxe.

C’est là qu’apparait l’essentiel : non dans ce qui est annoncé, mais dans ce qui est tu, omis délibérément. Jamais Matignon n’oserait promouvoir un rôle nouveau pour la BCE assorti d’objectifs sociaux et environnementaux. Jamais l’audace gouvernementale n’irait jusqu’à envisager une réforme des retraites non centrée uniquement sur le recul de l’âge minimal de départ, mais sur le taux d’emploi des séniors, et pourquoi pas, au moyen d’une part de contrainte sur les employeurs ?

Tout cela le Gouvernement ne le fera pas car il est dépourvu d’ambition.
Ainsi, il ne redistribuera pas les effectifs de la fonction publique vers les métiers de terrain, ainsi, madame Borne esquivera-t-elle les questions migratoires, ne faisant qu’appeler à « un renforcement des contrôles aux frontières de l’UE » , ainsi se refusera-t-elle à instruire les demandes d’asile depuis une représentation française dans un État tiers, ainsi éludera t-elle la question des peines planchers pour les multirécidivistes, tout comme l’expulsion systématique des délinquants étrangers.

En effet tout cela requerrait une volonté politique d’acier.
Madame Borne a ceci de commun avec nombre de politiciens professionnels : le culte de l’action feinte, ostentatoire souvent, illusoire toujours ; mais la détestation de la volonté. Un tel état d’esprit confronté aux multiples obstacles que rencontre désormais l’action pu-blique : juges constitutionnels, Cour de justice de l’UE, Cour européenne des droits de l’Homme, Conseil d’État, Commissaires de Bruxelles, étouffera dans l’oeuf la moindre am-bition.

Renoncements

Une politique sans caractère laissera immanquablement la part belle au désordre.
Entre les lignes, Elisabeth Borne laisse planer la menace sur l’unité républicaine, celle qui cimente la Nation. Les barons locaux obtiendront tous pouvoirs en termes de politique du logement, d’aménagements divers, et les chefs d’établissements scolaires « des marges de manoeuvre pour s’adapter ». Tel est le renoncement du Gouvernement. La nouvelle règle est qu’il n’y en aura plus, sinon celle de l’adaptation darwinienne, sous peine d’extinction. La loi de la jungle. Dans ce système les mieux pourvus deviendront toujours plus forts, plus attractifs, plus modernes, offriront une fiscalité plus avantageuse ; tout cela au détri-ment des moins clinquants.

Les campagnes, les villes moyennes de province, ancrées dans leur passé, fières de leurs identités, fidèles à la Patrie, habitées de gens simples et discrets, seront les vaincues de madame Borne. Certes on implantera ici ou là un bureau « France Service » pour renouve-ler son passeport, on érigera bien quelques antennes pour la diffusion du numérique, mais l’essentiel est oublié : la vie.
La campagne tout comme la ville, à la manière du coeur, demandent à palpiter. Commerces, industries, logements destinés aux jeunes couples, lieux culturels, écoles, hôpitaux, cabi-nets médicaux, transports ; tout l’écosystème de la vie en société doit se réimplanter dans ces communes délaissées. Voilà l’un des drames contemporains de notre Nation : le re-noncement à la vie hors de la ville, faute de volonté politique pour répartir cette vie plus harmonieusement sur le territoire.

Si madame Borne s’accommode du dépérissement rural elle s’apprête encore au sacrifice de l’île de Beauté, bientôt livrée à la vindicte des nationalistes, à la fureur anti française, aussi le fil qui retient la Corse à la Patrie semble de plus en plus ténu.
Le sort de la lointaine Nouvelle-Calédonie, petit morceau de France perdu dans un gigan-tesque océan désormais sous la menace chinoise, était déjà scellé. Mais au lieu de regrets, la nouvelle Première ministre se félicite de l’amputation. Ultime abandon.

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